dimanche 28 décembre 2008
Bastet
Dos à l’obscurité de la cuisine chaude,
Un chat, taquiné par une odeur de fricaude*,
Contemple à la fenêtre un rêve de pouvoir
Dans les ombres qui pénètrent les murs le soir.
Très délicatement, il grignote une griffe,
Lèche, consciencieux, son poil et l’ébouriffe.
La lumière s’estompe et lui, le vieux filou,
Ne sait d’où peut venir cette impression de flou.
Une inquiétude vient à son œil qui vacille.
Sait-on pourquoi, parfois, notre raison oscille ?
D’un bond silencieux, il rejoint le sol froid,
Furète en sous-sol, en grenier, en cave, en toit.
Sur le perron désert, il lève un maléfice.
C’est son métier de chat, pourfendre l’artifice…
De gouttière en balcon, de terrasse en jardin,
Déterminé, jusqu’au premier chant du matin,
A chasser les servants d’un bien épais mystère,
Il croque des gluons et gnaque une chimère,
Tourne et virevolte, estourbit deux souris,
Déchiquette un manteau de vampire, bondit,
Le course à pas feutrés, se coule sous les ormes,
Surveille, soupçonneux, des figures énormes,
Danse sous une étoile et glisse en un terrier,
Surgit des fondements d’un antique olivier…
Enfin, las de lutter, comme à l’accoutumée,
A sa vitre revient, toute fougue calmée.
Sa pensée a levé le fin voile d’Isis,
Et survolé très haut la turquoise Avaris,
Quand son profond regard d’étoile cornaline
Accroche l’horizon qui déjà s’illumine.
Alors le chat, pris dans un élan sans pareil,
Le chat des dieux, sublime, allume le soleil.
Elisabeth Deshayes
*une fricaude est un plat stéphanois d’hiver, en ce moment de l’année, juste quand on vient de tuer le cochon. On fait cuire au four des pommes de terre avec oignons,t bouquet garni, boudins et abats taillées en dés. Sur la table, on présente également un plat de pommes fruits cuites poêlées avec des oignons, suivi d’une belle salade verte.
jeudi 11 décembre 2008
Automne
Sur les vagues ont fleuri de longues barbes grises
Qui viennent s’échouer sur les rochers mouillés.
Le silence est plus lourd qu’une porte d’église
Sur les dunes endeuillées des clameurs de juillet.
La plage est affranchie des fureurs estivales,
De ces corps alignés comme pour le défilé,
Et le ciel maquillé aux couleurs automnales,
Se mire dans une eau aux teintes orangées.
On y voit les vestiges des châteaux de silice,
Bâtis par des enfants sous le soleil d’été,
La ronde des oiseaux et leurs ombres qui glissent,
Et des serments d’amour à moitiés effacés.
Des herbes enlacées dansent une valse lente,
Ballottées par le vent sur le sable ridé,
Et des chiens égarés jouent pour tromper l’attente,
Septembre a ramené la quiétude et la paix.
On y entend planer comme un air de Bohême
Quand le mistral salé fait jouer son archet,
Et la mer libérée décline ses poèmes,
Pour des sacs de plastique et des bouts de papier.
Roland Vidal
mercredi 3 décembre 2008
Ce monde n'est-il autre...
Ce monde n’est-il autre
Que terre de marchands
De ces dieux sans apôtre
Des villes et des champs
Qui n’ont pour patenôtre
Qu’écus bien trébuchants ?
La terre tourne-t-elle
Aussi rond qu’on le dit
Sa belle tarentelle
Alors qu’est interdit
Qui par trop se rebelle
Et qui l’on a maudit ?
D’où viennent ces hiérarques
Qui tiennent à merci
Comme des polémarques
N’ayant autre souci
Que de plaire aux monarques
Ces pauvres gens d’ici ?
Le temps est à froidure
Et ce n’est pas demain
Que ce ciel immature
Offrira un matin
Tout prêt à l’aventure
A qui prendra chemin !
Sachez vous satisfaire
Des petits riens du jour
Ils ne sont là pour plaire
Qu’aux gens de basse cour
Qui n’ont pour tout repaire
Qu’un cœur gonflé d’amour !
Là chacun dissimule
Aux accusants regards
Son fil de funambule
Jeté sur les hasards
Par delà la férule
Quotidienne aux bagnards.
Guy Lehuludut
lundi 1 décembre 2008
Camper sur ses idées
Gros investissement pour qui n'a plus d'emploi,
Bien frêle habitation, un semblant de chez soi
Pour abriter l'espoir de remonter la pente.
Ultime solution quand on n'a plus de rente
Mais s'offrir le luxe de s'accorder le choix
de demeurer libre quitte à mourir de froid
Et d'être réveillé par un oiseau qui chante.
Les pièges forestiers sont bien moins dangereux
Que la promiscuité des autres malheureux
Au sein de ces foyers qui pallient à l'urgence.
Si la soupe ou le lit réchauffent un peu le cœur,
Se voir jeter dehors à la première lueur,
Fait à la dignité la plus cruelle offense
Claudie Becques