
Dos à l’obscurité de la cuisine chaude,
Un chat, taquiné par une odeur de fricaude*,
Contemple à la fenêtre un rêve de pouvoir
Dans les ombres qui pénètrent les murs le soir.
Très délicatement, il grignote une griffe,
Lèche, consciencieux, son poil et l’ébouriffe.
La lumière s’estompe et lui, le vieux filou,
Ne sait d’où peut venir cette impression de flou.
Une inquiétude vient à son œil qui vacille.
Sait-on pourquoi, parfois, notre raison oscille ?
D’un bond silencieux, il rejoint le sol froid,
Furète en sous-sol, en grenier, en cave, en toit.
Sur le perron désert, il lève un maléfice.
C’est son métier de chat, pourfendre l’artifice…
De gouttière en balcon, de terrasse en jardin,
Déterminé, jusqu’au premier chant du matin,
A chasser les servants d’un bien épais mystère,
Il croque des gluons et gnaque une chimère,
Tourne et virevolte, estourbit deux souris,
Déchiquette un manteau de vampire, bondit,
Le course à pas feutrés, se coule sous les ormes,
Surveille, soupçonneux, des figures énormes,
Danse sous une étoile et glisse en un terrier,
Surgit des fondements d’un antique olivier…
Enfin, las de lutter, comme à l’accoutumée,
A sa vitre revient, toute fougue calmée.
Sa pensée a levé le fin voile d’Isis,
Et survolé très haut la turquoise Avaris,
Quand son profond regard d’étoile cornaline
Accroche l’horizon qui déjà s’illumine.
Alors le chat, pris dans un élan sans pareil,
Le chat des dieux, sublime, allume le soleil.
Elisabeth Deshayes
*une fricaude est un plat stéphanois d’hiver, en ce moment de l’année, juste quand on vient de tuer le cochon. On fait cuire au four des pommes de terre avec oignons,t bouquet garni, boudins et abats taillées en dés. Sur la table, on présente également un plat de pommes fruits cuites poêlées avec des oignons, suivi d’une belle salade verte.