SLAM 1958
La clope, la sèche, entre quinze et vingt berges,
qui scellait l'amitié, qui se donnait en frères,
qu'on offrait à tout va, connu ou connais pas,
qui meublait les amours et ornait les galères.
Daniel, Gilbert et moi la cigarette aux doigts,
Trois jeunes, un passé, et un peu de futur.
Trois copains collégiens en photo blanc et noir,
des "poteaux", des frérots, qui écoutaient Z'navour
et Mouloudj qui chantaient de leurs voix de rature
les erreurs, les félures, qu'on connaitrait ...plus tard,
"qu'en on aurait vingt ans", dans trois ans, dans trois jours,
si la trouille, la moche, la guerre d'Algérie
lâchait son hypothèque sur nos vingt ans de vie.
Tu piges ? Soixante trois, quand ce fut terminé,
on était des milliers à Nation à Bastoche,
à gueuler "on salut qui on veut ! nous qu'on a emmerdés
à faire cirer nos pompes, à balayer les chiots,
et même on crache dessus, en vrai ou en cinoche.
Daniel, Gilbert et moi, on tirait sur la clope.
Dans le regard lointain, qu'on se donnait à l'époque,
à travers la fumée les oueds étaient proches,
ou peut-être lointains, (moi j'y suis pas allé).
Daniel, Gilbert et moi, une main dans la poche,
la Gauloise dans l'autre. Et le siècle à filé !
Daniel tu t'es tiré avec ce salaud de crabe,
Gilbert je t'ai perdu, comme je perd les syllabes.
Tu rêvais d'un pays, bien carré, bien prospère,
je te salue Gilbert ; as-tu un bon chemin ? Connais-tu la galère ?
Daniel, Gilbert et moi, la clope à la main,
on lisait l'avenir dans la fumée Gauloise
ou dans belle Gitane, aux formes idéales,
pareilles à Ginette, que j'avais pelotée au ciné Le Royal.
Emules de Gabin, Belmondo ou Montant,
on flirtait au ciné, c'était les moeurs du temps.
La "nostalge" me prend, un soir sur une image !
1958, une année formidable ! Trois internes reclus
qui s'offraient un jeudi, à rêver l'avenir, à bâtir un mirage,
à y croire quand même, envers, ou contre, ou pour,
et qu'on a écourté, ou qu'on a pas vécu, ou peut-être ..un jour ?
Choûté à la Gauloise, ça fait rire les mômes,
ceux d'à présent, bien sur, parce que ceux... "de mon temps"
ceux qui pleurent tout le temps, que "c'était mieux avant",
qu'on était jeunes et cons, et que c'était pas vrai,
qu'on aurait jamais cru écrire des poèmes
et qu'on en écrit quand même,
pour ne pas vous dire qu'on vous aime
jeunes cons d'aujourd'hui !
Gérard Comolas/Montanari